Mémoires en couleurs
Une nature morte, un portrait de famille, des paysages silencieux… Ces photos, réalisées sur des films Agfa Farbenplatte des années 1930, traversent le temps. Retrouvées dans un marché berlinois, soigneusement rangées dans leurs boîtes d’origine, elles semblaient attendre, intactes, qu’on les redécouvre. Réappropriation – 2025
Ces images traversent les âges, figent une époque, un style, un rythme aujourd’hui effacés, et ravivent des vies éteintes. Du lys rouge vibrant aux fruits et objets disposés sur un drap bleu-gris, elles portent la trace d’une fragilité presque intemporelle.
Le portrait d’une famille, un soir de Noël, photographié par le père tenant un déclencheur souple, prêt à saisir l’instant. L’enfant en mouvement, un moment suspendu dans le temps. Et ces paysages, jardins et architectures, photographiés avec le même soin que ceux des archives de la planète de Monsieur Albert Kahn, ancrent ces images dans une époque révolue.
Ces photographies de 9×12 cm sur plaque de verre positive, bien plus détaillées que les Autochromes, permettent une restitution des couleurs d’une fidélité et d’une netteté remarquables. On pourrait presque sentir la chaleur de la pièce, les bruits de la nature à l’extérieur, et deviner l’atmosphère de ces instants suspendus. Pas de grain, juste des lumières douces, presque réconfortantes, comme un dernier refuge face à l’incertitude.
Mais ce n’est pas simplement une question de technique ou d’esthétique. En pleine tourmente, alors que les mondes vacillent, quelqu’un a pris le temps de composer ces scènes. Pourquoi ? Pour saisir la beauté du quotidien, pour figer un moment d’éternité face à l’incertitude. Le portrait de famille, sous le grand sapin de Noël, était-il un reflet d’une époque marquée par l’angoisse de l’inconnu ?
En redécouvrant ces images, je me demande : à quoi pensait celui ou celle qui les a créées ? Peut-être était-il un professionnel ? Cherchait-il à s’évader, à saisir une beauté que les jours menaçaient d’effacer ? Et nous, que voyons-nous ? Un passé esthétique ou la preuve que, même dans l’incertitude, l’humain se tourne vers la beauté, la couleur, la lumière – un refuge aussi fragile que puissant ?
Ce ne sont pas seulement des images ou des techniques. C’est une empreinte. Une résistance silencieuse. Des fenêtres sur des âmes inconnues qui, à travers le temps, murmurent encore.